Par Coralie Bissonnette
Photo de Viki Mohamad sur Unsplash
Peu importe où vous faites vos courses, vous avez probablement remarqué une hausse significative des prix des aliments ces dernières années. Vous êtes-vous déjà demandé comment l’alimentation s’inscrit dans vos valeurs et vos moyens financiers? Il est difficile, dans un contexte d’un budget plus serré, de faire des choix alimentaires en fonction d’autre chose que le prix de l’aliment, le montant alloué à l’alimentation et le temps consacré à la cuisine.
En d’autres mots, il est difficile d’appliquer les principes de Slow Food dans une situation de précarité financière. Seuls, nos comportements d’achat ne nous donnent pas le pouvoir de modifier la situation. Et si l’on valorisait l’alimentation collectivement? Cette pression que l’on se met individuellement afin de respecter nos valeurs pourrait disparaître. Slow Food Montréal se prend à rêver d’une société où l’aspect culturel, éducatif et économique de l’alimentation serait pris en compte différemment.
Et si l’on valorisait l’alimentation culturellement?
La première question à se poser tous ensemble est: qu’est-ce qu’une alimentation de qualité? Il existe une multitude de réponses… Ça en est même une cacophonie! Alors, comment arriver à un consensus? Loin du discours nutritionnel autour des calories et des nutriments, est-ce que les aliments qui se retrouvent dans nos assiettes ont un lien social avec les gens qui nous entourent?
Cette perspective justifie non seulement l’alimentation locale, mais aussi celle qui est en harmonie avec notre propre histoire. La société est rarement uniforme. D’une région à l’autre, nous allons retrouver des variations dans les techniques culinaires ou certains ingrédients sont plus disponibles. Pour parvenir à un consensus sur la culture culinaire québécoise, il est essentiel de connaître et d’apprécier ce que notre territoire offre. Ce savoir devient de plus en plus répandu, mais il devrait être davantage mis en évidence plutôt que de se limiter à un logo dans un magasin ou à des ouvrages nichés. Pourquoi ne pas mettre en place une plateforme de recettes variées et testées avec des produits québécois accessible à tous?
On devrait être fier de ce que l’on produit. On devrait être fier de nos racines alimentaires. Toutes les cuisines du monde sont le produit d’un syncrétisme (oui oui même les plus anciennes !). Notre patrimoine culinaire est formé des cuisines autochtones, françaises, anglaises, américaines et ensuite est venu se greffer les différentes cuisines des vagues d’immigration. C’est évident qu’il y a un effet de standardisation mondiale avec les produits industriels et les effets du divertissement culinaire. Cependant, il ne faut pas oublier la valeur culturelle de ce que l’on mange et produit.
Nous aimerions que nos gouvernements mettent en place des politiques comme feu l’office montréalais de la gastronomie de manière pérenne. C’était un modèle qui avait le potentiel de bénéficier à toutes les autres villes et régions de la province. Il s’agissait d’une entité innovante où le restaurant était vu comme un vecteur d’un patrimoine culturel. Il est plus facile de créer un lien social avec ce que l’on mange quand on valorise les gens responsables de notre assiette.
Et si l’on valorisait l’éducation alimentaire?
Qui dit valorisation culturelle, parle automatiquement d’éducation parce qu’il faut donner les clés de compréhension d’un patrimoine culinaire. L’éducation alimentaire est un aspect important d’une alimentation durable et saine dans la vie adulte. Bonne nouvelle: le fédéral a lancé un programme de subventions pour les repas à l’école. Il s’agit d’un premier pas pour enrayer l’insécurité alimentaire chez les enfants. C’est aussi une chance d’instaurer une meilleure littératie alimentaire chez les jeunes.
L’équipe de Slow Food Montréal rêve d’un programme similaire à celui du Japon où les élèves sont encouragés à participer au service de la nourriture. L’heure du midi dans les écoles nippones est une occasion d’en apprendre plus sur les aliments locaux et les recettes typiques de la région. Contrairement au programme de lunchs américain, l’accent n’est pas sur l’abordabilité, mais sur la présentation d’aliments sains. Les cuisiniers scolaires utilisent autant que possible des aliments frais qu’ils préparent le jour même, afin que les enfants reçoivent des portions nutritives et équilibrées. Il sera intéressant de voir comment cette subvention affectera réellement la vie quotidienne des familles québécoises.
L’éducation alimentaire ne se limite pas à la cafétéria. Pourrait-on inclure dans le cursus scolaire la culture en hydroponie pour parler d’introduction à la méthode scientifique, de biologie, de mathématique, de chimie, etc.? À un plus jeune âge, cela sert aussi à parler d’où viennent les aliments. L’avantage de l’hydroponie est que cela peut se faire en hiver et qu’il est facile de recommencer de nouvelles cultures une fois un sujet terminé.
Une autre idée, qui se fait déjà à petite échelle, est l’atelier culinaire. Ramener le cours d’économie familiale chaque semaine n’est peut-être pas la solution, mais une sortie dans des locaux adaptés, une fois par trimestre, pourrait créer une occasion spéciale avec les élèves de tous les niveaux. Les intégrer dans le cursus enlèverait une pression sur les enseignants afin de développer une activité hors du curriculum aux frais des parents et de l’école. On gagnerait tous à ce que nos jeunes apprennent que les muffins ne poussent pas dans les arbres.
La littératie alimentaire c’est aussi marcher dans les environs pour voir ce qui y pousse. Reconnaître la flore comestible de notre territoire permet de mieux la protéger et la valoriser. Il y a une tendance actuellement de livres de cueilleurs et un renouveau pour les produits d’ici qui est plus que bienvenue. Nous souhaitons voir le mouvement s’étendre à tous pour que l’on soit plusieurs à s’arrêter devant un sureau blanc ou un pimbina. Cela revient à valoriser ce que le territoire nous offre en partageant les connaissances (et en goûtant !)
Et si l’on finançait l’alimentation locale?
Valoriser le territoire c’est aussi le soutenir à sa juste valeur. Il peut sembler facile de financer l’agriculture locale, mais c’est en réalité un sujet complexe qui implique des accords commerciaux internationaux et l’importance de la croissance économique pour nos dirigeants actuels. Soyons francs, l’artisan qui vend dans un marché fermier n’a pas du tout accès à la même quantité de subventions qu’un producteur à grande échelle qui exporte. En d’autres mots, on préfère financer une agriculture qui ne nous nourrira pas. Ça, c’est sans parler du coût environnemental lié à ce système alimentaire sur notre territoire.
En plus, la société de consommation tente de nous piéger dans un environnement où le prix des denrées à l’achat est devenu très important. On peut facilement oublier combien gagnent les travailleurs agricoles et quelles méthodes sont utilisées pour produire ces aliments, voire que les terres agricoles sont situées dans d’autres pays!
C’est évident que dans ce cadre, la comparaison entre un aliment local et importé ne viendra pas favoriser une production régionale à petite échelle et respectueuse de l’environnement. Il faudrait se doter collectivement d’un nouveau cadre où le prix des aliments reste important, mais que d’autres variables soient prises en considération. Et ça, ça vient avec des critères de subventions différents.
Il serait bien qu’un fermier ou un éleveur puisse vivre décemment sans dépendre de ses ventes parce qu’il aurait un soutien autre qu’aux infrastructures. Actuellement, les dépenses en agriculture représentent 1 % des dépenses provinciales. Si l’on est sérieux à propos de l’autonomie alimentaire, il faut que ça change… Les discours de valorisation du patrimoine culinaire ne sont que du vent s’ils ne sont pas suivis d’actions.
Bien que cet idéal semble ambitieux, il est crucial de réfléchir à des moyens concrets pour avancer vers une meilleure valorisation de notre alimentation. Le chemin est peut-être long, mais chaque petite action collective peut nous rapprocher de cet objectif.
Quels moyens de mobilisation sociale prendriez-vous pour faire bouger les choses? Slow Food Montréal est curieux de vous entendre sur vos actions, vos valeurs et vos choix au quotidien. Seul, c’est difficile, mais ensemble on peut s’épauler.