On pourrait penser au premier abord que sols et fromages n’ont pas grand-chose en commun. Et pourtant. La matière vivante sous nos pieds influence la variété et la qualité de l’herbe des pâturages, et donc du lait qui à son tour donne au fromage son caractère unique. Il n’est donc pas surprenant que Slow Food ait dédié aux sols une conférence lors de la première journée de Cheese 2015, qui s’est tenu à Bra (Piémont) du 18 au 21 septembre.
« La question des sols a été négligée dans les politiques » a dit Marta Messa, basée à Bruxelles pour Slow Food, qui animait la conférence. « Un article publié dans un journal anglais cette année affirmait que l’appauvrissement des sols est un problème encore plus grave que le changement climatique. Si nous continuons sur cette lancée, il n’y aura plus de sols fertiles dans 60 ans. »
2 000 ans sont nécessaires pour que 10 centimètres de sol fertile se forment, et quelques décennies ont suffi à anéantir les sols à coup de pesticides et engrais chimiques et du fait de l’érosion. « Le sol est le produit de processus complexes qui se déroulent sur une longue échelle de temps » a commenté Michele Freppaz de l’Université de Turin, membre du panel de la conférence. « Comme lors de la restauration d’un chef d’œuvre, nous pouvons essayer de l’imiter mais nous ne pourrons jamais le recréer. »
Le journaliste français Frédéric Denhez, également membre du panel, a expliqué : « Les sols n’ont continué à produire que grâce à l’apport en engrais chimiques, et non pas en se régénérant. La situation est catastrophique. »
L’importance des sols n’est pas déconnectée de nos vies quotidiennes, bien au contraire, car elle impacte le contenu de nos assiettes. « Le microcosme des sols affecte la qualité de la nourriture. » a dit Sergio Capaldo, vétérinaire et fondateur de l’association d’éleveurs La Granda. « La nourriture est une sorte d’intermédiaire entre le microcosme des sols et l’homme… Avant même de parler d’animaux, nous devons parler des sols. La qualité du lait commence avec la biodiversité des sols. »
Pour produire de bons fromages, il faut plus que des pâturages et des savoir-faire fromagers : cela demande du respect pour la santé des sols et de ses habitants. « Nous approchons l’agriculture de la mauvaise façon en nous concentrant seulement sur la vitesse de production. Ce que nous omettons, c’est que la qualité du produit dépend de la manière dont nous traitons les sols. Nous devons moins parler des chefs et plus des matières premières : ce sont elles qui font vraiment la différence dans la nourriture que nous mangeons. »
Au-delà du problème de la qualité des sols, se pose aussi celui du bétonnage des terres et de la perte de sols fertiles qui en découle. « La qualité des sols peut être restaurée, mais le plus préoccupant est cette perte de terrains fertiles liée à l’urbanisation. » a expliqué Roberto Burdese de Slow Food. Frédéric Denhez a renchéri : « C’est un problème majeur, en France comme dans le reste du monde… Et nous ne perdons pas n’importe quelles terres : ce sont les meilleures terres pour l’agriculture parce qu’historiquement les villes étaient construites là où les sols étaient les plus fertiles. »
Mais le tableau n’est pas complètement noir. « Les sols sont vivants et des écosystèmes peuvent y renaître si nous leur laissons ne serait-ce que quelques années. » a dit Denhez. « Mais l’homme ne veut pas entendre cela car ce qu’il veut, c’est faire de l’argent. » Des financements devraient soutenir les pratiques vertueuses qui protègent les sols, a suggéré Capaldo, au lieu des politiques actuelles qui favorisent une agriculture qui détruit les sols. Et nous devons redonner de la valeur aux savoir-faire paysans des communautés locales dont les pratiques ingénieuses ont permis depuis des siècles de restaurer les sols dégradés.
« Les sols sont des systèmes vivants, fragiles. Ils ne sont pas un produit industriel. » a conclu Marta Messa. « Nous devons comprendre cela et nous devons payer un prix juste pour les produits issus d’une agriculture qui prend soin des sols. »