Par Coralie Bissonnette
Il y a beaucoup d’idées qui circulent actuellement pour résoudre la crise climatique. Certaines sont farfelues, d’autres sont déjà en cours d’expérimentation. On peut penser à la viande, créée en laboratoire, ou encore aux fruits et légumes CRISPR-cas9 (un outil d’évolution génétique, qui permet aux chercheurs de créer de nouvelles variétés rentables avec des caractéristiques plus adaptées aux changements climatiques).
Slow Food a récemment entrepris une consultation de tous ses membres pour trouver une orientation à ses actions face à l’urgence climatique. Le mouvement s’est positionné en faveur d’une alimentation principalement végétale et a encouragé les méthodes agroécologiques. Il est difficile de trouver une solution uniforme appliquée mondialement. Cependant, avec ces deux orientations, Slow Food croit que les changements peuvent être durables.
L’alimentation est un sujet complexe. Tous se doivent de manger pour survivre, mais tous ne sont pas présentés devant les mêmes choix. Il y a actuellement une iniquité entre les sociétés du Nord et celle du Sud. Les Occidentaux vivent dans une abondance fictive tout le long de l’année au détriment des pays producteurs qui sont la plupart du temps au Sud. Ces pays sont victimes d’accaparement des ressources au profit de la surconsommation du Nord.
L’importance d’une diète majoritairement végétale
L’exemple de la production de viande est plutôt parlant : 80% des terres agricoles mondiales sont utilisés pour l’élevage animal. Peut-être que si la consommation de produits issus d’élevage animale diminuait, collectivement nous serions capables de réduire l’agriculture en monoculture qui, à son tour, pourrait enrayer la perte de biodiversité que la planète est en train de vivre.
Le lien entre les trois n’est pas évident. Dans le monde, les monocultures sont souvent celles de soya, de maïs et d’huile de palme. Ce sont des cultures qui utilisent beaucoup d’intrants parce qu’elles ont été génétiquement modifiées pour un plus haut rendement. L’environnement autour des champs s’en trouve dégradé et une perte de diversité s’en suit, autant par le peu de variété cultivée que par la pollution créée.
Ces monocultures ont beaucoup d’utilité dans le monde industriel. On peut fabriquer de la colle pour la construction avec du soya ou produire du biogaz avec le maïs. Par contre, la plupart du temps, cela sert de nourriture à l’industrie de l’élevage animal et elles sont présentes à tous les niveaux. La moulée que l’on donne aux bovins d’abattage vient très probablement de ces monocultures. Les petits poissons que l’on donne aux saumons ont très certainement été nourris avec ces monocultures. La boucle est complète entre la consommation de viande, l’agriculture en monoculture et la perte de biodiversité.
Le système de l’agriculture industrielle permet de produire de manière peu coûteuse pour les consommateurs occidentaux parce qu’il est énormément subventionné, mais aussi parce que souvent les effets négatifs sont cachés dans les pays du Sud. 800 millions de personnes vivent de l’élevage animal dans le monde et cela inclut autant le secteur industriel que les entreprises à plus petite échelle. Il s’agit d’un nombre non négligeable.
Alors, comment individuellement et collectivement changer nos habitudes? Slow Food propose, d’un point de vue individuel, d’adopter une alimentation végétale avec moins de produits issus de l’élevage animal. L’éradication complète est radicale et peu réaliste quand on considère que manger du poisson et, surtout, de la viande est un signe de réussite sociale. Il est difficile de se débarrasser de ces normes d’un coup. Il y a aussi un discours nutritionnel ambiant qui met beaucoup d’emphase sur les protéines. Sans parler du lien, parfois toxique, qui existe entre la virilité et le fait de consommer de la viande.
L’adoption de l’agroécologie au quotidien
Au lieu de dénigrer les aliments végétariens sous ces termes, on pourrait plutôt parler des conséquences sur le plan collectif. Cela rentre justement dans la définition de l’agroécologie, où l’agriculture et les systèmes alimentaires deviennent durables au point de vue écologique, mais aussi social. En termes plus concrets, cela signifie qu’il faut sortir du système alimentaire industriel actuel et rétablir un lien social entre ceux qui produisent, transforment et consomment la nourriture. Il s’agit d’un projet englobant toute la planète.
Bien sûr, cela veut dire payer le juste prix pour les aliments. Nous vivons dans un monde néo-libéral où le prix est une caractéristique très importante du choix des consommateurs. Cependant, la comparaison que nous faisons avec les prix du supermarché anonyme conventionnel et d’agriculteurs essayant de promouvoir un modèle différent, respectueux de l’environnement est faussée par les subventions gouvernementales qui soutiennent majoritairement les gros joueurs. Si l’on garde en tête seulement le prix des aliments, il est évident que l’on va préférer aller encourager les multinationales. Il est important de mentionner qu’il s’agit d’un privilège financier de pouvoir considérer d’autres caractéristiques comme la saisonnalité et le reflet de valeurs environnementales dans la nourriture que l’on achète.
Cependant, nos gouvernements peuvent mettre en place des subventions pour soutenir l’agroécologie. Si l’on change de paradigme vers une alimentation qui n’est pas orientée pour faire du profit, on pourrait collectivement financer le salaire des fermiers et valoriser le lien social au travers de la nourriture.
Les idées concrètes sont propres à chaque communauté. C’est souvent les gestes banals qui font une grande différence au quotidien: pouvoir louer des équipements de cuisine comme un autoclave à la bibliothèque de quartier, se réunir toute la famille pour faire un projet culinaire de grande envergure, faire du troc avec des amis selon nos talents culinaires respectifs, mettre en place un soutien au salaire plutôt que sur les infrastructures agricoles, changer de paradigme vers nourrir sa population plutôt que de produire, rendre le processus d’application à différentes subventions claires pour les fermiers à petite échelle, faire du bénévolat pour un organisme agissant pour la sécurité alimentaire, valoriser les légumineuses pour leur versatilité non pas leur prix, s’ouvrir aux nouvelles recettes, essayer de cuisiner des aliments locaux le plus longtemps dans l’année. Mais dans le fond, il n’y a rien de banal à ces gestes, ils sont révolutionnaires parce qu’ils nous demandent de mettre l’alimentation au cœur de nos vies.
Pour aller plus loin
Il s’agit d’un processus qui demande du temps et de l’effort. Êtes-vous prêt à essayer de mettre en place le plus petit geste auquel vous pensez vers l’adoption de l’agroécologie? Attention! Il ne faut pas être draconien. Commencer petit est plus encourageant; on peut ensuite bâtir sur cela. Sans tomber dans la justification morale du bon et du mal, chaque prise de conscience et geste compte.
Si vous voulez connaître des projets inspirants, vous informer sur ce qui se fait ailleurs ou découvrir des médias spécialisés dans ces questions, Slow Food a érigé une petite collection sur le sujet. Il s’agit majoritairement du contenu en anglais. J’ajouterais le livre de Dusan Kazic Quand les plantes n’en font qu’à leur tête aux éditions La Découverte paru en 2022. L’auteur a un postulat radical, mais il décrit de belle manière la relation humaine avec les plantes.