Il y a quelques années, je me suis retrouvée à faire mon épicerie tard le soir dans une grande surface près de chez moi. Étant donné que l’heure de fermeture approchait, il n’y avait qu’une seule caisse ouverte et une longue file de gens en attente pour payer. Une jeune femme n’ayant qu’une pinte de lait est arrivée derrière moi. Elle était pressée, elle allait manquer son autobus pour rentrer chez elle. Je l’ai laissé passer devant moi. Après avoir payé, elle est partie en courant vers la sortie. J’ignore si elle est arrivée à temps.
Une question de distance
Ce n’est pas tout le monde qui a la chance de vivre à une distance raisonnable d’une épicerie. Selon une étude datant de 2010, 38% des Montréalais habitent à plus de 500 mètres de marche d’une épicerie à bannière (Metro, IGA, Provigo, Maxi et autres), ce qui rend l’accès à des fruits et légumes frais plus difficile. Ces zones sont de potentiels déserts alimentaires. En d’autres mots, ce sont des quartiers où les épiceries sont plus facilement accessibles en voiture ou en transport en commun qu’à pied.
En plein cœur de la ville, les alternatives aux grandes surfaces pour s’approvisionner en produits frais ne manquent pas. Cependant, plus on s’éloigne du centre de la métropole, plus les marchés indépendants se font rares. Effectivement, c’est dans les quartiers présentant un niveau socio-économique plus faible que l’accès aux produits frais et de qualité serait le plus limité. C’est d’autant plus problématique considérant que les populations de tels quartiers sont également souvent moins mobiles.
Selon une autre étude, parue en 2013, 1,6% des Montréalais vivaient dans un désert alimentaire. En secteur rural, la proportion pouvait monter à 11% (Abitibi-Témiscamingue), 14% (la Côte-Nord) et même 23% (en Gaspésie). À noter que la distance n’est pas calculée de la même manière en région qu’en ville; on considère qu’un territoire est un désert alimentaire lorsqu’il n’y a aucune épicerie à bannière dans un rayon de 16 km.
Impact sur la qualité alimentaire
Les choix alimentaires sont grandement influencés par l’offre de produits dans notre environnement. Par exemple, comme la majorité des fruits et légumes en milieu urbain est vendue dans des supermarchés, les citoyens qui ne vivent pas à proximité de ces commerces ont donc un accès limité à ces produits. Les populations vivant dans les déserts alimentaires n’ont souvent d’autres options que les dépanneurs, où l’offre en produits frais et sains est généralement très pauvre.
Cet article du journal Le Devoir souligne d’ailleurs le lien entre les déserts alimentaires et la malbouffe. On peut y lire qu’un quartier présentant offre limitée en produits sains cohabite souvent avec une offre importante de malbouffe. En région, les déserts alimentaires rendent bien souvent la population plus dépendante aux voitures puisque les épiceries sont trop loin pour être accessibles à pied. Et dans bien des cas, les fruits et légumes doivent eux aussi parcourir une plus grande distance pour se rendre au supermarché; une intempérie sur la route pourrait facilement mettre en péril leur fraîcheur ou leur livraison.
Comment améliorer la situation des personnes vivant dans un désert alimentaire?
Les initiatives gouvernementales
La définition du concept du désert alimentaire est née au début des années 70 au Royaume-Uni. Ce n’est qu’au début des années 2010 que les différentes instances gouvernementales québécoises ont entrepris des démarches pour répondre au phénomène.
À l’échelle locale, la ville de Montréal s’était munie d’un plan d’action en 2014-2016. Il est toutefois difficile de savoir si les initiatives financées ont eu l’impact désiré puisque la majorité n’a pas été installée de façon durable dans une communauté.
À l’aube des élections provinciales de 2022, une recherche rapide dans les plateformes des différents partis montre la disparité des objectifs quant à l’accès à l’alimentation. Le Parti Libéral du Québec veut soutenir les agriculteurs. La Coalition Avenir Québec parle de la valorisation des produits d’ici. Québec Solidaire envisage la souveraineté alimentaire.
Le seul parti mentionnant spécifiquement vouloir combattre les déserts alimentaires en finançant des initiatives communautaires est le Parti Québécois. Cela reste une intention qui ne s’accompagne pas de mesures concrètes. N’empêche, en tant qu’organisation faisant l’alimentation propre, bonne et juste, chaque geste qui enraye l’insécurité alimentaire est important pour Slow Food Montréal.
Les initiatives communautaires
Les initiatives communautaires pour une alimentation saine sont souvent précaires car elles dépendent du financement gouvernemental et le recrutement de bénévoles. Malgré tout, elles offrent la possibilité d’améliorer le contenu des assiettes des résidents et de tisser un réseau social.
Pour découvrir les projets dans votre quartier, vous pouvez consulter le répertoire d’organismes œuvrant notamment dans le domaine alimentaire tenu par Centraide. On retrouve des projets de l’ouest, comme la Place 59 Saint-Pierre, jusqu’à l’est de l’Île, avec Le Sésame.
Pour ceux qui résident en région, Radio-Canada a fait une carte des déserts alimentaires en 2017. Il existe plusieurs modèles de co-op d’un village à l’autre pour répondre aux besoins des résidents. D’ailleurs, voici un excellent reportage présentant des pistes de solutions venant de la Côte-Nord.
Il n’y a pas de remèdes miracles pour enrayer la précarité alimentaire. Cependant comme individu et citoyen d’une communauté nous pouvons choisir que l’accès à une alimentation saine soit une priorité, au même titre que la santé et l’éducation, par exemple.
Par Coralie Bissonnette, bénévole chez Slow Food Montréal