Que vous soyez un parfait néophyte du jardinage ou que vous ayez le pouce vert, notre richesse culinaire est l’affaire de tous! Découvrons ensemble un pan de notre culture gastronomique malmené: les semences du patrimoine. Elles se comparent à de l’or en graines face aux changements climatiques.
Voici donc un tour d’horizon sur les semences du patrimoine et leur importance dans notre écosystème.
La fragilité de la biodiversité
Nos choix alimentaires dictent aux fermiers ce qu’ils cultivent. Il existe plus de 350 000 variétés de plantes sur Terre, dont 80 000 sont comestibles. Mais avec la mondialisation, ce sont seulement 150 végétaux qui sont activement cultivés. Et si l’on compte la production en tonnes, 30 de ces 150 plantes produiraient 95 % des calories qu’on ingère. Suivant la même méthode de calcul, la moitié du régime alimentaire mondial provient de quatre variétés de plantes, soit le riz, le maïs, le blé et la pomme de terre.
Certes, il n’y a pas qu’une seule sorte de patates dans le monde. Cependant, si le fermier n’a planté qu’une seule variété et qu’un fongicide s’installe dans le champ, la récolte est perdue. C’est ce qui est arrivé en Irlande au 19e siècle. Et c’est ce qui se passe actuellement avec la banane Cavendish; un champignon, la maladie de Panama (TR4),est en train d’éradiquer la variété de bananes la plus mangée par les Canadiens. Bref, la monoculture nous rend vulnérables face au niveau de l’approvisionnement de nourriture.
La monoculture met aussi en danger la biodiversité. En 100 ans, plus de 75 % de la biodiversité de la planète a disparu ou est menacée d’extinction. En Amérique du Nord, on parle de 90 %, une catastrophe. Les humains sont responsables de cette raréfaction de la flore et de la faune terrienne, notamment à cause de l’agriculture industrielle. Ainsi, diversifier notre alimentation a un impact sur la santé de la planète.
Les semences du patrimoine: qu’est-ce que c’est?
Les semences du patrimoine sont des variétés génétiques de plantes adaptées à un climat (ou une topographie) particulier, qui ne sont pas génétiquement modifiées et qui sont enracinées dans un contexte historique. C’est le temps qui rend la plante résistante aux différents problèmes rencontrés dans l’année. Elles représentent un bagage génétique qui peut répondre à des problèmes de culture éventuels. Nombre de ces graines ont été cultivées par les peuples autochtones bien avant l’arrivée des premiers Européens. C’est le cas de la citrouille algonquienne, qui était semée par les Abénakis. Elle est non fibreuse contrairement aux variétés plus connues et à un goût de noisette sucrée. La courge Canada Crookneck, quant à elle, fait partie de notre assiette grâce à la confédération iroquoise. Elle est l’ancêtre de la courge butternut. Il paraît qu’elle est tellement sucrée qu’elle peut remplacer les patates douces dans des recettes.
Plus récemment, nous avons redécouvert les graines du melon d’Oka dans un catalogue des États-Unis. Le fruit a été rapatrié dans sa région natale et est en vogue depuis quelques années dans les cercles jardiniers. Il s’agit d’un croisement entre le melon de Montréal et le melon américain Banana. Tout comme le melon de Montréal, il présente une chair au goût sucré et des notes de muscade. Cette invention est l’œuvre des moines cisterciens d’Oka, au début du 20e siècle. Le melon d’Oka est plus adapté au climat moderne que le melon de Montréal. Les différentes variétés de notre héritage agricole représentent un bagage génétique, qui peut nous aider à mieux répondre aux changements climatiques.
L’impact de l’agriculture industrielle sur le patrimoine alimentaire
L’avènement de l’agriculture industrielle a grandement affecté l’indépendance des fermiers. La nouvelle devise du cultivateur n’était plus de nourrir son entourage et de vendre ses surplus. Le circuit court n’est plus. L’insistance sur le rendement et la perte de main-d’œuvre au profit des usines ont cédé le pas à la mécanisation du travail agricole. De leur côté, les fermiers voulant économiser du temps se sont tournés vers les solutions proposées par les industries pétrochimiques et pharmaceutiques.
Les scientifiques de ces compagnies ont développé des Terminator Seeds, des graines enduites de produits chimiques les rendant stériles. Il faut donc constamment s’en procurer de nouvelles auprès des grands industriels, rendant les fermiers dépendants. Cela n’était pas comme ça avant les années soixante. Ce sont les Américains, avec l’aide des industriels, qui ont inventé l’agriculture moderne telle que nous la connaissons aujourd’hui. Auparavant, les fermiers gardaient une partie de leurs récoltes pour en utiliser les graines dès que les derniers gels étaient passés. C’est de cette façon que des variétés cultivées par les autochtones nous sont parvenues.
Dans les années 80 aux États-Unis, le droit de brevetabilité sur un organisme vivant hormis les humains est reconnu. Cela ouvre la porte à la commercialisation des semences et la dépendance des fermiers envers ces industries.En 2017, dix compagnies se partageaient 73 % du marché mondial des semences. Selon un mémoire de Diane Joubert, au Canada, entre 1993 et 1996, plus de 50 % des compagnies de semences ont cessé leurs opérations ou ont été achetées par de plus grosses firmes, ce qui a occasionné la perte de quelque 950 variétés de végétaux comestibles.
L’importance des jardiniers-semenciers dans la lutte contre les changements climatiques
Ce n’est pas pour rien que la plupart des semenciers se voient comme des gardiens d’un patrimoine en danger. Il est d’autant plus important que cette richesse renferme peut-être les clés de la survie de l’agriculture. Il n’existe pas qu’un seul clone d’une plante. Certaines plantes sont plus adaptées à pousser sur un terrain en côte, d’autres s’acclimatent très bien à un manque d’eau lié à la sécheresse. Il y a celles qui peuvent supporter de plus grandes périodes de froid. Ce sont des adaptations qui ont été faites par la plante elle-même pour survivre dans le temps. Parfois, l’humain a un rôle de facilitateur et au cours de l’histoire, il a sélectionné certains clones plus que d’autres. En Indonésie, avant l’arrivée de l’agriculture moderne, il existait entre 100 000 et 1 000 000 de sortes de riz. Cet écart s’expliquerait par différentes méthodes de comptabilisation. Peu importe leur nombre de départ, une importante partie de ces graines ont été perdues à jamais; aujourd’hui, il ne resterait que 10 variétés utilisées quotidiennement. L’agriculture moderne a précipité cette disparition.
Il est capital de préserver la diversité des variétés d’une même espèce de plante. Les organismes génétiquement modifiés (OGM) se construisent grâce à ce patrimoine. Si nous voulons nourrir 9,7 milliards d’êtres humains en 2050, nous devrons augmenter nos capacités agricoles de 70 % selon l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). La réponse à des saisons imprévisibles se trouve peut-être dans des greniers oubliés… Les OGMs constituent une partie de la réponse pour s’adapter aux changements climatiques. Ils sont principalement développés pour satisfaire des exigences de coût, d’uniformisation et de transport. Rarement, le goût est pris en compte. Les semences du patrimoine peuvent contrebalancer en apportant de la saveur dans votre assiette.
Il est donc primordial de préserver ces semences. L’exemple de conservation le plus connu est la banque de semences au Svalbard en Norvège. La plupart des pays ont ce genre d’établissement où ils conservent des semences dans des congélateurs. Une graine a une vie hors de la terre de deux à 10 ans. Pour qu’elle ne meure pas, il faut la planter selon un cycle convenable. Ainsi, il est possible de distribuer ces semences à un plus grand nombre de jardiniers et assurer la pérennité des végétaux.
L’importance des circuits courts
Un jardinier-semencier de l’Ouest canadien, Dan Johnson, donne l’exemple de graines de tabac retrouvées dans un cimetière ancestral. Il a cultivé ces semences et peut maintenant les envoyer à différents peuples autochtones d’Amérique du Nord pour qu’ils en continuent la culture. Ce n’est qu’un exemple parmi tant d’autres d’une préservation de traditions. C’est aussi une question de goût. Une plante qui pousse dans notre climat depuis des centaines d’années et qui subit peu de transport après avoir été cueillie à point sera toujours meilleure qu’une autre venant de très loin.
Avec cette idée en tête, plus près de chez nous, Thibault Renouf a créé l’entreprise Arrivage. Il s’agit d’une plateforme qui met en relation les producteurs maraîchers et les restaurateurs. Elle permet aux entreprises de transformation alimentaire de s’approvisionner localement et loin des catalogues de distribution standardisés des grandes compagnies. L’objectif étant de proposer à des chefs restaurateurs, épiciers et transformateurs, des semences oubliées. Acheter localement est une façon de se démarquer dans l’offre alimentaire montréalaise. Tout cela en donnant un coup de pouce à nos producteurs d’ici.
Comment pouvons-nous agir?
Jardinez avec les semences du patrimoine, il s’agit d’un pied de nez aux industriels et une façon de se reconnecter avec la terre. Si vous voulez vous lancer, voici quelques pistes pour commencer votre projet:
Réseaux d’entraide:
Il y a le groupe Sème l’avenir sur Facebook qui se concentre sur les semences du patrimoine. Il existe également une fête des semences qui se tient du 3 au 7 février à Montréal. C’est un lieu de rencontre entre commerçants et passionnés de semences du patrimoine. Cette année, elle se tiendra en ligne.
Si vous habitez près de Trois-Rivières, l’organisme La Brouette peut vous être utile pour des conseils de jardinage.
Acheter des semences du patrimoine:
L’Opération Gardiens de semences regroupe des semenciers actifs dans la préservation des semences du patrimoine.
Jardiner à l’année:
En attendant notre prochaine infolettre qui traitera du jardinage urbain, et vous fournira trucs et astuces pour préparer et entretenir votre jardin, nous avons envie de narguer l’hiver en vous présentant des façons de jardiner à l’année.
Germinations et pousses:
Une façon simple et peu coûteuse d’avoir accès à des aliments que nous avons fait pousser même en plein hiver.
Voir un tutoriel sur la germination et un autre sur la pousse en terreau.
Si vous manquez d’idées de recettes, outre la traditionnelle salade de pousses et de graines germées de votre ami grano, nous vous recommandons de les incorporer dans un sauté de légumes grillés. Les pousses peuvent complémenter votre salade préférée. Les graines germées peuvent ajouter du croquant dans vos soupes et autres plats. Vous avez la chance d’être créatif et aussi polyvalent que les sortes de graines que vous voulez faire germer. Attention, les germinations ne sont pas recommandées durant la grossesse.
Cultiver ses propres champignons:
La germination et les pousses n’ont plus de secrets pour vous? Vous voulez un défi qui ne demande pas d’attention constante? La culture de champignons est pour vous. Ce n’est peut-être pas un projet rentable, mais certainement éducatif! En plus, vous aurez l’opportunité de déguster des champignons fraîchement cueillis, qui n’ont pas fait plus de cinquante mètres de transport.
Si vous possédez un endroit frais et à l’abri de la lumière, il ne vous faut qu’acheter des bûches ou des sacs de bran de scie ensemencés au mycélium. La compagnie Champignons Laurentiens offre des kits de culture. Il y a aussi la Mycoboutique qui a pignon sur la rue Saint-Denis. Si vous souhaitez poursuivre vos connaissances sur le sujet, François Huart a publié un livre sur le sujet, Cultivez vos champignons.