La réputation des fromages québécois n’est plus à faire. En 2021, la province comptait autour de 600 sortes de fromages et ce n’est pas fini. Le temps où le cheddar était le roi des fromages au Québec est révolu. Ceux qui se souviennent des choix de fromages des années 90 diront que l’ascension a été fulgurante. Pourtant, il y a toujours eu des fromages québécois à mettre sur la table. Ils différaient de région en région parce que le fromage, à moins d’être vieilli, ou affiné, ne voyage pas très bien.
Pour ce billet, l’équipe de Slow Food Montréal vous propose un survol historique afin de mieux comprendre l’essor de l’industrie fromagère québécoise. Il ne s’agit pas de nommer les meilleurs fromages au Québec; chacun a ses propres préférences et sa liste de chouchous. Ce billet vise plutôt à vous renseigner et à explorer la notion de terroir au travers du fromage pour mieux vous donner envie de découvrir votre prochain coup de cœur.
Les surplus de lait : les débuts de l’industrie fromagère
Pour bien comprendre l’envol des fromages québécois, il faut se pencher sur le système de quota de production de lait au Canada. C’est un procédé de gestion de l’offre. La production ne doit pas excéder les besoins d’une province à l’autre. Il est donc impossible de surproduire du lait. C’est un système qui vise à éviter le gaspillage. Une ferme laitière fournit une quantité donnée, qui sera automatiquement transformée pour les différents produits de consommation venant du lait.
Hors pendant l’industrialisation de l’agriculture d’après-guerre, les vaches laitières sont devenues de plus en plus productives. Il fallait faire quelque chose avec le surplus de lait. C’est là que le cheddar industriel a fait son apparition. Tranquillement, la tendance de petits producteurs régionaux s’est estompée pour faire place à une production de masse où la notion de terroir a été effacée au profit de la quantité et de la constance. L’alimentation des années 50 à 70 a été marquée par les rationnements de la Deuxième Guerre mondiale. Il fallait trouver un moyen de nourrir tout le monde, quitte à perdre des notions de savoir-faire.
La curiosité culinaire : de nouveaux fromages
Cela a commencé à changer à la fin des années 70. La population québécoise a commencé à s’intéresser à d’autres cultures culinaires. La plupart des historiens soulignent l’avènement de l’Expo 67 comme un tournant vers l’ouverture sur le monde des Québécois. Cela devait être une fête pour les sens que de se promener de pavillon en pavillon.
Il est important de nuancer que si l’Expo 67 a été une étincelle pour plusieurs, il faut souligner l’apport des immigrants dans la continuation de cette curiosité culinaire. C’est grâce à eux que des fromages différents comme la ricotta ou le brie ont fait leur apparition sur les tablettes des épiceries. Sans dire que le niveau de vie des Québécois s’est beaucoup amélioré au cours des années 70. Ils ont commencé à voyager et à réclamer d’autres fromages dans leurs assiettes que le classique cheddar.
Le début de la concurrence au cheddar
Quelques producteurs de lait ont commencé à diversifier leur offre de fromages fins pour écouler leur surplus de lait. Il y avait la Fromagerie Cayer (qui est devenue plus tard la Maison Alexis de Portneuf) et la Fromagerie d’Oka. En 1979, on comptait une douzaine de producteurs de fromages fins de lait de vache, sans compter ceux qui transforment le lait de brebis ou de chèvre. Ceux-ci ont été homologués plus tard. Au cours des années suivantes, plusieurs fromageries ont ouvert leurs portes comme le Ruban Bleu (années 80, reprise par la deuxième génération en 2005), la famille Dufour (1994) et la Vache à Maillote (1996). Le savoir-faire québécois se construisait tranquillement.
L’envol des fromages fins
En 2004, la province compte une centaine d’entreprises productrices de fromages fin. C’est à ce moment que les élus, entrepreneurs et fromagers commencent à comprendre le potentiel de l’agrotourisme des fromages et autres spécialités locales. Cela se concrétise au niveau régional par la création des routes gourmandes. La première est celle de Charlevoix en 1996. C’est le début de l’affirmation d’une identité régionale par les produits de la table. Enfin, chaque région a toujours eu ses spécialités culinaires, plus ou moins connues des gens de l’extérieur. La différence, c’est que ces initiatives d’agrotourisme étaient maintenant soutenues par les instances municipales et provinciales.
Au parlement de Québec, on se rend compte des possibilités commerciales des fromages d’ici. On lance un programme de soutien aux producteurs fromagers en 2008 à la hauteur de 8,4 M$ sur trois ans. Le but avoué de cette campagne est de stimuler la demande des fromages québécois autant à l’intérieur du Québec qu’à l’extérieur (le reste du Canada et les États-Unis surtout). On importe toujours plus que l’on exporte. Cependant, la réputation des fromages québécois a changé à l’international.
Pour ce qui est de la demande locale, les producteurs de lait se sont regroupés pour créer l’association Les fromages d’ici, un organisme qui veut promouvoir les fromages québécois. L’association a lancé plusieurs campagnes publicitaires encourageant les consommateurs à être fiers des fromages produits dans la province. Cela a marché; on trouve aujourd’hui une belle sélection de fromages québécois en épicerie. Les gens visitent les fromageries lorsqu’ils sont de passage dans une autre région. C’est devenu un réflexe d’avoir au moins un fromage d’ici sur le plateau de fromages quand on reçoit. Les Québécois sont fiers de leurs fromages.
Pasteurisé, cru, thermisé : de quoi parle-t-on?
Avant d’aller plus loin, définissons le processus de fabrication du fromage: il s’agit d’un processus de fermentation avec des bactéries pouvant être ajoutées ou non au lait.
Les fromages de lait pasteurisé
Lorsqu’on ajoute des bactéries, la majorité du temps c’est parce qu’on a pasteurisé le lait. C’est-à-dire un lait ayant été chauffé à plus de 70 degrés Celsius pour tuer tous les micro-organismes naturellement présents dans le lait. Les fromages pasteurisés permettent une standardisation du produit final. La pasteurisation convient à des fromages qui vont voyager et qui sont fabriqués en grande quantité. Ils ne sont pas tant représentatifs d’un terroir, mais plutôt de la main du fromager qui l’a conçu.
Les fromages de lait cru
De l’autre côté des pratiques de fabrication du fromage se trouvent l’utilisation de lait cru. Le lait ne dépassera pas la température de 40 degrés Celsius, conservant tous les micro-organismes. Cela permet à un goût plus riche de se développer et des formes plus variées dans les moules. Évidemment, ces fromages sont plus à risque d’être atteints de la bactérie listeria. C’est un processus de fabrication qui est très encadré par les règlements sanitaires. D’ailleurs, cette réglementation a été assouplie en 2008, une première en Amérique du nord, facilitant du même coup la commercialisation des fromages au lait cru.
Pour produire un fromage de lait cru, il faut développer un lien de proximité avec des fermes laitières puisque le lait doit commencer sa fermentation rapidement après la traite. À moins d’être affiné, il est difficile de le transporter sur de longues distances et d’en fabriquer en grande quantité. La commercialisation dans les grandes surfaces est donc plus difficile. Un fromage de lait cru sera plus facile à trouver dans les fromageries spécialisées et chez les fromagers même. Cependant, il représente moins la main du fromager que celle du terroir dont il provient.
En 2001, Slow Food a lancé une campagne destinée à sauvegarder la tradition du fromage au lait cru. Progressivement, le succès de la campagne a restauré la confiance et la dignité des producteurs dans le monde, soulignant les qualités gustatives extraordinaires des fromages au lait cru ainsi que leur valeur culturelle.
Les fromages de lait thermisé : un compromis
Une alternative entre les deux est un fromage issu de lait thermisé. C’est un lait que l’on va chauffer entre 57 et 68 degrés Celsius. Certaines bactéries résistent à ce traitement de chaleur, ce qui permet de ne pas ajouter de levures pour le processus de fermentation. Cela donne un fromage plus riche en goût que ceux pasteurisés. L’avantage est qu’il est plus facile de contrôler les bactéries dans le lait. Il y a moins de risques de contamination de la listeria.
Après ces trois processus de fermentation, les combinaisons sont infinies : pâte molle, ferme, semi-ferme, cendrée, fleurie, croûte ou pas, lavée, brossée, alouette… Présentement, il existe plus de 1 000 sortes de fromages fins au Québec. Il y a de la créativité fromagère au Québec. Certains producteurs ont décidé de mélanger différentes sortes de lait pour donner un goût unique. D’autres ont décidé de ne pas pasteuriser le lait pour laisser le terroir s’exprimer pleinement.
Évidemment, nous allons prêcher pour notre paroisse et vous recommander d’acheter des fromages d’artisans parce que cela représente nos valeurs de Slow Food. Il existe un lien de proximité quand quelqu’un fabrique un fromage à partir de lait cru. Il y a des fromageries qui innovent comme celle des Grondines, Au Gré des Champs et Le Mouton Blanc. Les soutenir leur donne de la marge de manœuvre pour aller plus loin et les consommateurs sont récompensés par des fromages représentatifs d’une identité. Alors quelle est votre liste des meilleurs fromages du Québec?