Par Coralie Bissonnette
Expérience commune : qui ne s’est pas déjà plaint que le résultat final d’une recette ne ressemblait pas à la photo associée? J’avoue que j’en suis coupable ; surtout dans mes premiers pas dans la cuisine! J’aurais voulu que tout ce que j’entreprenais ressemble à une assiette sortie des cuisines d’un restaurant étoilé.
Plus j’ai pris de l’expérience et de l’assurance dans la cuisine, moins je me suis souciée de l’apparence de mes plats. Ce qui compte pour moi, c’est que ça goûte bon. Il est évident que si je veux rendre l’occasion spéciale, je me force un peu plus sur la présentation des plats et l’agencement des couleurs. Cependant, je sais que je n’ai pas la même mentalité qu’un chef. Celui-ci doit s’assurer que son plat goûte bon, mais aussi qu’il plaise aux yeux des gens assis dans son restaurant et de ceux qui le suivent sur les médias sociaux. Il doit se vendre. Nos réalités ne sont pas les mêmes. C’est pourquoi je ne choisirai pas les mêmes recettes qu’une cheffe. Je n’ai pas les mêmes contraintes budgétaires ni les mêmes intentions. Chacun a des buts différents.
En approchant une recette, il est important de se demander ce que nous cherchons à accomplir. Est-ce que ça s’arrime avec les intentions du créateur de recette ?
Un peu d’histoire : l’envol du livre de recettes
À moins d’avoir des livres de cuisine comme lecture de table de chevet, il est rare de se poser explicitement la question sur l’origine de la création d’une recette. Pourtant, le livre de recettes (et ses déclinaisons sur l’Internet) n’a pas toujours été la norme.
Ce n’est qu’avec l’ère industrielle que le partage de recettes par le médium du livre a vraiment pris son envol. Il y avait deux sortes de recueils. L’un a été créé par les compagnies vendant un standard ou un produit. Quand Auguste Escoffier a publié son livre en 1907, il a pu partager son modèle d’excellence culinaire hôtelier au travers d’un recueil de recettes. Il est devenu une référence par la suite dans le monde occidental. Plusieurs livres de cuisine contemporains s’inscrivent dans cette lignée.
Un exemple québécois serait le livre de recettes du restaurant Toqué! de Normand Laprise. Ce ne sont pas nécessairement des recettes faciles à reproduire à la maison sans les équipements d’une cuisine d’un restaurant, mais cela promeut la philosophie derrière l’établissement.
Pour la vie quotidienne, il y a les livres qui mettent de l’avant un produit. J’ai en ma possession un recueil de recettes datant de 1921 de la compagnie Procter & Gamble qui met en vedette la graisse Crisco. Il s’adresse à la ménagère. C’est un recueil didactique. En même temps, il y a un but commercial. La compagnie veut encourager l’utilisation du Crisco dans la vie de tous les jours.
Les autres livres de recettes étaient souvent publiés par les congrégations religieuses ou les gouvernements. Ils avaient pour but d’éduquer la femme au foyer pour qu’elle puisse nourrir adéquatement sa famille. La première édition de la cuisine raisonnée date de 1919, celle du premier guide alimentaire canadien de 1942. Avec l’avènement de Jehanne Benoît et Pol Martin, ils sont devenus des références pour les foyers québécois avant les années 90.
Maintenant, l’offre de recettes est beaucoup plus diversifiée. On ne vise plus seulement à vendre ou à éduquer. Avec la montée des réseaux sociaux, il y a une nouvelle tendance de l’esthétique des plats. Le meilleur exemple est la remontée en popularité des œufs. Dans les années 90, cet ingrédient était tombé en défaveur parce qu’il était associé indûment à un mauvais cholestérol. En 2016, le #eggs étaient en huitième position comme mot-clic abordant la nourriture utilisé sur Instagram. Il y a plusieurs facteurs qui contribuent à son ascension comme le fait qu’il peut-être intégré à une diète végétarienne ou haute en protéine, mais c’est aussi un bel ingrédient à photographier avec le contraste du jaune et du blanc. Il y a aussi des recettes qui font d’excellentes vidéos Tik Tok, mais pas nécessairement délicieuses.
J’ai réuni trois questions qui valent la peine de se poser quand vient le temps de planifier ce que l’on veut cuisiner pour la semaine.
Est-ce réaliste de choisir cette recette dans mon horaire de cette semaine et mon budget?
À la même manière que la création artistique, l’intention de celui qui écrit la recette dépend de sa réalité. Quelles sont ses influences culinaires ? Un des clichés est que l’on peut facilement voyager au travers de son assiette, il suffit souvent d’une pincée d’épices. L’exploration est facilitée par la disponibilité d’ingrédients différents.
Par contre, est-ce que ce sont des ingrédients que j’ai envie de cuisiner ? Ce sont des questions que l’on se pose sans en prendre conscience. Je ne pense pas qu’une recette peut me faire aimer un ingrédient à moins d’altérer beaucoup son goût. La recette va faire partie de notre quotidien. Autant mieux avoir envie d’explorer toutes ses facettes plutôt que de la laisser sur l’étagère de la bibliothèque ou dans un tiroir.
Sans parler de la motivation d’aller chercher tous les ingrédients nécessaires… Faire l’épicerie ce n’est pas toujours chouette surtout quand on cherche quelque chose qui n’est pas de saison ou qui n’est pas dans nos habitudes. Il faut être réaliste et conséquent avec nos priorités de la semaine.
Une autre chose avec laquelle il est bien d’être pragmatique, c’est son budget. Certaines recettes demandent des ingrédients plus rares et plus chers que d’autres et qui de plus ne nous serviront peut-être plus dans le futur. Ce n’est pas accessible à tous. Quelques célébrités culinaires portent une attention particulière à la disponibilité des ingrédients et le coût par portion. Je pense notamment à Ricardo, Geneviève O’Gleman ou Jamie Oliver.
Ai-je le temps d’apprendre une nouvelle technique ?
Parfois le créateur culinaire va nous présenter une nouvelle technique que l’on ne connaissait pas avant. Cette fois, l’importance des ingrédients est moindre. Il s’agit plus de l’équipement à notre disposition qui devient le facteur déterminant.
Je ne dis pas que vous avez absolument besoin de la cuillère pour cuire un œuf au-dessus d’un feu de braises d’Alice Waters. Cependant, un rouleau à pâte pour faire des croissants rend la vie plus facile qu’une bouteille de vin vide. Cela dit, la bouteille de vin convient très bien aux pâtes à tarte.
Les recettes basées sur les techniques sont plus difficiles à faire intuitivement. C’est le genre de recette, comme faire son pain, qui demande plusieurs essais avant de maîtriser les différents indices d’un pain réussi. Si le but est d’impressionner les invités, ce n’est peut-être pas une bonne idée de choisir une recette avec une technique que l’on a jamais faite. Il y a un avantage à prioriser les recettes qui se basent sur des techniques parce qu’ensuite on peut plus facilement improviser avec les ingrédients présents sous la main.
Comment faire cette recette mienne ?
Une recette n’est jamais figée. Même la pâtisserie ! Il y a toujours place à un peu de digression pour l’adapter. Si l’exploration de saveurs vous tente, je vous suggère de mettre la main sur les livres de Niki Segnit (The Flavour Thesaurus & more flavours), elle répertorie des associations d’ingrédients comme un dictionnaire. C’est un bon point de départ pour trouver de l’inspiration. La beauté du fait de cuisiner est que la prochaine fois, il est possible d’améliorer ou de changer certaines choses de la recette ou encore de faire des substitution selon les ingrédients à notre disposition. Ce n’est pas grave si un soir le repas n’est pas un 10 sur 10. Réussir à mettre de la nourriture sur la table est déjà un succès en soi.
Bref, le but n’est pas d’atteindre la perfection, mais de continuer de progresser dans la cuisine qui nous ressemble.