Une tranche de melon qui vaut le prix d’un steak ? C’était le cas au début du siècle dernier, alors que le célèbre melon de Montréal était servi dans les plus grands hôtels de New York, Chicago et Boston.
Cultivé dans le quartier de Notre-Dame-de-Grâce, le melon serait apparu en Nouvelle-France aussi tôt qu’en 1684. Le développement des caractéristiques qui en ont fait sa renommée a toutefois été réalisé dans les années 1870, par le père Barthelemy Décarie, dont la famille a donné son nom à l’autoroute du secteur. Ce melon était principalement cultivé par deux familles : les Gorman et les Décarie, celui de ce dernier, le plus exporté, était rond et très dentelé, tandis que celui des Gorman avait une forme oblongue. Les deux fruits ont cependant la même chair : très moelleuse et de couleur vert pâle, elle a un goût particulier de muscade. Ces melons ont aussi une taille considérable, pouvant atteindre sept kilos. Leur culture exige des soins très particuliers. Elle débute aussi tôt qu’en mars, en les faisant pousser sous des châssis de jardin, orientées plein sud.
Dès qu’ils atteignent une certaine grosseur, les melons sont déposés sur une pierre, pour éviter qu’ils ne pourrissent. De plus, les melons doivent être tournés d’un quart de tour à chaque semaine, pour conserver leur belle forme ronde. Et ils sont si convoités qu’un homme armé doit en garder les terres durant la nuit! Même le premier ministre du Québec de l’époque, Louis-Alexandre Taschereau, en est féru et vient chaque année se procurer un melon sur lequel sont « gravées » ses initiales : L.A.T. On rapporte en outre qu’à cause de sa chair fragile, le transport du melon de Montréal doit être confié à des entreprises spécialisées dans le domaine, lesquelles posent les fruits dans des paniers d’osier, remplis de paille.
On perd la trace du melon de Montréal vers les années 1950, alors que les terres se transforment en quartiers résidentiels et que d’autres variétés, plus petites et exigeant moins de soins, font leur apparition. Au milieu des années 1990, un journaliste montréalais en retrouve cependant des graines, aux États-Unis, dans une banque de semences de l’Ohio. Côtoyant d’autres espèces, le melon a toutefois été hybridé, c’est-à-dire que ses graines ont donné des résultats variables. C’est ce que constate Ken Taylor qui plante les douze graines retrouvées dans la banque. Il en tire un seul melon correspondant aux caractéristiques recherchées. Avec d’autres cultivateurs, il entreprend la « resélection » des graines. A-t-on retrouvé le vrai melon ? C’est la conclusion à laquelle on en est venu, grâce au témoignage de petite-fille de l’un des cultivateurs de Notre-Dame-de-Grâce, Debra Aubin, dont une journaliste a retrouvé la trace. Son père a poursuivi la culture et la sélection du melon. Puis elle a fait de même après le décès de son père. Grâce à son témoignage, nous savons aujourd’hui que Fred Aubin, au bout de plusieurs années, était parvenu à retrouver le goût de son enfance. Seul point sur lequel le melon d’aujourd’hui ne rivalise pas avec son ancêtre : la taille. Il est plus petit qu’à l’époque. On croit que c’est l’usage du fumier de cheval qui permettait d’obtenir de melons si gros.
Quoiqu’il en soit, Slow Food s’est donné comme objectif d’aider les producteurs à faire proliférer à nouveau l’authentique melon de Montréal.